JE SUIS DIMITRI ET TIENS, VOILÀ UNE COMPOTE
- Dimitri Z.
- 17 avr.
- 10 min de lecture
Dernière mise à jour : 18 avr.

Je partage ici ce que mon impact au sol a pulvérisé et ce qui, plus tard, est revenu.
Différent. Transformé. Inattendu.
Je partage ici ce qui m’a manqué. Ce vide si terriblement douloureux, ressenti au moment où j’ai retrouvé mes esprits. Je veux m’en souvenir. Je ne veux pas oublier les horreurs traversées. Et, si je ne veux pas les oublier, c’est parce qu’aujourd’hui, ces horreurs endurées sont le carburant qui m’alimente. Elles sont l’énergie qui me propulse.
Ma toute première intuition, le jour où j’ai rouvert les yeux et que mon cerveau s’est rappelé pour la première fois, était que poursuivre une carrière dans le monde des affaires, c’était terminé. Je ne savais même pas où j’étais. Je ne savais même pas pourquoi j’étais assis dans un fauteuil roulant. Je ne savais même pas que je m’étais écrasé au sol lors d’un saut en parachute, depuis plus de 4000 mètres d’altitude…
Ma toute première pensée intérieure, mon tout premier instinct – peu importe comment on appelle ça – était : ça va être dur, ça va être long, je vais en baver, et c’est fini, ma carrière est finie. Cette voix intérieure était claire. Elle venait de m’annoncer que je venais de perdre le sens de ma vie. La raison pour laquelle je pensais être sur Terre. Ce qui était à la base de toutes mes actions venait de disparaître.
Aujourd’hui, je regarde mon passé avec le sourire.
Quand je contemple mon parcours dans le monde des affaires, je souris. Quand je revois cet obsessionnel de la performance,ce mec qui recevait des récompenses…puis qui en remettait. Je souris.
Quand je revois ce jeune entrepreneur, plein de rêves de grandeur, devenir dirigeant dans un grand groupe, je souris. Je me souviens de tous ces bons moments. Je me souviens des succès de ce petit-fils d’immigrés italiens.
Quand je me rappelle ces années d’errance, ces années où je ne savais plus qui j’étais, je souris aussi. Quand je me remémore l’état déplorable, la profonde solitude dans laquelle j’étais avant de m’apprêter à mettre fin à mes jours, je souris. Un sourire tremblant, mais sincère. Un sourire de reconnaissance pour l’homme que j’étais, même paumé, même à genoux. Quand j’observe ce mec hésitant, complètement perdu, qui part dans tous les sens, qui part d’une page blanche, je souris encore.
Le souvenir douloureux d’avoir vécu si longtemps sans but, le souvenir culpabilisant de ne pas savoir pourquoi j’étais sur Terre et pourquoi j’avais survécu, me font sourire aujourd’hui. Si je souris de tous ces moments sombres que mon impact au sol m’a fait traverser, si je me rappelle avec tendresse d’avoir traversé mon enfer, d’avoir été cet homme en détresse, c’est parce qu’aujourd’hui je sais. Je sais pourquoi je suis encore là et, pour la première fois de ma vie, je sais que je suis sur le bon chemin. Sur le vrai.
Passer si proche de la fin, être frappé d’amnésie, devoir reconstruire mon cerveau, sont des réalités que j’ai transformées en opportunités.
J’ai appris à me connaître. Je suis allé à ma rencontre. Je me suis découvert tel que je suis vraiment. Je me suis accueilli à bras ouverts tel que je suis vraiment.
Alors aujourd’hui, je sais pourquoi je suis tel que je suis et je sais pourquoi je suis sur Terre. J’ai retrouvé un sens à ma vie. J’ai de nouveau un WHY. J’ai à nouveau le MOJO. J’ai à nouveau des rêves plein la tête. C’est pourquoi, quand je devrai, à nouveau, serrer les dents, quand je devrais, à nouveau, endurer, je veux pouvoir me rappeler le pourquoi et le comment j’ai créé ma cosmogonie artistique, un univers créatif si vaste.
Je veux pouvoir me rappeler l’origine de cet univers multisupport, où l’humain, l’Amour et la magie de la Vie sont au cœur. Je veux pouvoir me rappeler les raisons. Peu importe ton âge. Peu importe tes origines. Peu importe tes croyances. Peu importe ta situation. Peu importe. Tu n’es pas seul.
Je raconte des histoires. Des histoires insignifiantes à l’échelle de l’humanité, mais des histoires qui sont tout pour moi. Si je raconte ces histoires, c’est pour moi. Je suis un de ceux qui tendent la main et raconter des histoires c’est ma façon de tendre la main.
Je veux me rappeler de ceux qui ont été les premiers alors voilà leur histoire. Voilà mon histoire.
Je repense à ce type avec qui j’étais hospitalisé. On avait bien sympathisé. Je ne suis pas certain de me souvenir de son prénom. Je crois qu’il s’appelait Gérard.
À part nos traumas crâniens, on n’avait pas grand-chose en commun. Mais, de tous les autres pensionnaires, c’était le seul avec qui nous partagions un langage commun : celui de l’entreprise, celui de la vente. Il travaillait pour un concessionnaire automobile. Avec lui, je pouvais enfin enfiler mon uniforme : le costume de celui qui fait du business, qui ne vit que pour le business.
On discutait beaucoup de la façon dont il serait possible de réorganiser le service pour que les patients soient mieux pris en charge, de comment manager les équipes… Tous les deux, curieusement, on avait senti le mal-être de l’équipe soignante et, en bons responsables d’équipes commerciales, on connaissait l’importance d’avoir l’esprit libéré pour performer.
Avec nos cerveaux fracturés, on venait de prendre la direction de cet établissement. Clairement une OPA hostile vu qu’on ne nous avait rien demandé. Je nous revois, dans le taxi-ambulance que nous partagions, pointer méticuleusement du doigt tous les dysfonctionnements. Ce trajet en taxi-ambulance c’était notre comité de direction à nous ! On débattait, on proposait des solutions, on imaginait leur impact sur le personnel, sur les patients, sur le service. On se projetait déjà sur l’ouverture de nouveaux centres. Tout juste si on faisait pas des présentations sur PowerPoint. À côté de nous Bernard Arnault et François Pinault faisaient office de stagiaires toujours en apprentissage. On était vraiment pété du casque au propre comme au figuré. Aujourd’hui, ça me fait marrer de raconter ça.
Ce qui me fait beaucoup moins marrer, par contre, c’est le jour où il m’a raconté que sa compagne était partie. Elle l’avait quitté après son accident. Je ne juge ni le pourquoi, ni le comment. Si ça se trouve, c’était la meilleure chose à faire, je n’en sais rien et je m’en fous.
En revanche, sur le moment, mon sang s’est glacé. Cette période était horrible pour moi. Être hospitalisé me renvoyait à cette image d’un homme faible et dépendant. Tout le temps, mes pensées – les ruminations traumatiques spontanées, en langage technique – me ramenaient à ma posture d’impuissance. Si je tenais, c’est parce que toutes les fins d’après-midi, ma femme était là. Elle était mon rayon de soleil, mon souffle d’espoir, ma bouée, mon phare dans cette tempête dégueulasse qui te broie de l’intérieur. Tu dois non seulement te battre pour récupérer ton physique mais, en plus, tu es attaqué de l’intérieur ! Stéphanie, tous les soirs, en étant là pour moi, me rendait de la dignité. Avec elle, dans son regard, je n’étais pas ce débris, ce déchet humain, cette loque, ce mec brisé que je voyais en moi. Avec elle, j’étais de nouveau un homme. L’homme de sa vie. Elle rechargeait mon cœur. Elle me faisait du bien. Plus que tout le reste, elle rechargeait ma force vitale.
C’était si bon. La serrer dans mes bras à la fin de ma journée de travail avec les soignants. Discuter, rire avec elle. L’avoir à mes côtés, le soir dans la chambre, jusqu’à ce qu’on vienne me donner mon somnifère et que je tombe, a été essentiel. La savoir à mes côtés a été décisif. Elle savait que ce moment était important pour moi. Elle savait que j’aimais ça, que ça me faisait plaisir. Que ça me faisait du bien.
Elle se mettait une pression de dingue pour être là, à l’heure, dès que les portes s’ouvraient. Quand on connaît la difficulté de circuler dans l’agglomération bordelaise, première ville française en termes d’embouteillages, son engagement à être présente à mes côtés était admirable. Je salue son exemplarité, sa détermination, sa volonté, son Amour inconditionnel. Elle était la lumière qui éclairait mes ténèbres. Elle était ma lumière.
Alors, quand mon camarade d’hospitalisation, Gérard, m’a dit qu’il avait été largué, mon sang s’est glacé. Et si aujourd’hui j’écris, si je veux raconter des histoires qui, en toile de fond, parlent d’Amour et portent un message d’espoir, c’est pour ceux qui, comme lui, sont seuls dans ces moments.
Il y avait Charlotte aussi.
J’avais demandé à Stéphanie de m’apporter des compotes en plus pour lui en donner parce que personne ne lui en apportait. Charlotte avait chuté à cheval, je crois. Là non plus, je ne suis pas sûr. Ça fait partie des informations qui ne s’imprimaient pas, qui ne s’imprimaient plus à l’époque… Ses parents, son père venait la voir. Il venait régulièrement. Il était là pour sa fille. Mais moi, je ne l’aimais pas son père. Sûrement parce qu’il me ressemblait. C’était probablement un dirigeant, quelqu’un qui avait “réussi dans la vie”.
Je n’aimais pas sa façon de parler. Je ne le sentais pas. Sa façon de lui donner de l’amour, sa façon de lui montrer qu’il était là pour elle, ne me plaisaient pas. Ça devait trop me renvoyer à moi. À mon propre style. À mes attitudes mécaniques, à mes paroles robotiques, dénuées d’humanité, vidées d’émotions, uniquement centrées sur l’atteinte de l’objectif. Il parlait en injonctions de performance, en obligations de résultat, et ça, ça m’énervait !
Son intention était louable. Il faisait ce qu’il pensait être bon pour aider sa fille. Il avait le mérite d’être là pour elle. De l’aimer. Seulement, quand on se croisait dans les couloirs, j’entendais des bouts de leurs échanges, je percevais des mots, des tournures de phrases. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser : putain, ça doit ressembler à quoi, leurs conversations ? Ce n’est pas possible ! J’ai donc décidé d’agir. Après mon crash, dans cet hôpital, j’ai osé passer à l’action là où, avant, je n’aurais rien fait. Là où, avant, je serai resté indifférent.
Avec mon petit cerveau brisé, c’est la part de moi qui tend la main à l’autre qui a pris le dessus. C’est une de ces facettes que j’avais pris soin, dans le monde de l’entreprise, de bien planquer, qui s’est manifestée clairement. Je lui donnais des compotes à Charlotte. Mais pour moi, ce n’était pas qu’une compote.
C’était ma façon de lui donner de l’amour. C’était ma façon de lui apporter de la tendresse dans notre dure réalité de traumatisés crâniens. Tout en moi voulait lui apporter cette douceur que Stéphanie m’apportait et qui me faisait tant de bien. Mon regard, mes mots, mon sourire et parfois mes doigts quand ils s’effleuraient lors de l’échange. Ce n’était pas grand-chose, une compote, mais au moins ça lui apporterait du positif, de mon positif.
C’est pour Charlotte aussi que je bâtis tout un univers. C’est pour toutes celles et tous ceux dont l’entourage, bien que présent et aimant, n’est pas très aidant que je transcende les différences, les âges, les cultures dans mes projets.
Que mes mots soient lus dans un livre ou une BD, qu’ils soient entendus dans un film, une conférence ou un documentaire ; que ma main tendue soit perçue dans une série, que mon amour passe à travers l’histoire d’un dessin animé, peu importe. Je sais que ça fera du bien à toutes celles et à tous ceux qui sont comme Charlotte. Ça sera leur compote. C’est ma façon, comme les infirmières extraordinaires de réa l’ont fait pour Stéphanie, de passer un message sur la force des petites choses de l’Amour.
Il y a aussi eu Florian. C’est avec lui que j’ai passé le plus de temps. Florian était cheminot. S’il conduisait des trains, c’est lors d’une sortie de route, sur une chaussée détrempée, qu’il a perdu la vue. L’impact avait endommagé son nerf optique et son trauma crânien n’arrangeait rien.
Mais avec Flo, on se marrait. Il était drôle. Il était entouré par sa maman. Elle était géniale. Elle avait déjà commencé à faire aménager son appartement. Le but était que Flo puisse retourner chez lui le plus vite possible.
Certains jours, il avait des baisses de moral. Ces jours-là, je le faisais marrer. Là, c’est ma facette de pitre, de comique, qui montait sur le devant de la scène. Lui, ce n’est pas d’une compote dont il avait besoin. C’était d’un mec drôle. Alors c’est décidé, on ferait les idiots ensemble. Il avait trouvé en moi le complice idéal pour faire des farces aux soignants. On adorait les rendre dingues ! À ceux qui lisent ce texte et qui se reconnaissent, il n’y avait rien de personnel, c’était pour la bonne cause ;)
Avec Flo, j’ai un souvenir très précis. C’était l’heure de mon rendez-vous avec la kiné. J’arrive sur place et je le vois sortir de la salle, le sourire aux lèvres. Il vient direct me parler et me dire que, contre toute attente, contre les avis et prédictions médicales, il commençait à revoir.
Il commençait à apercevoir des formes. C’était vague, c’était flou mais ça revenait. Il a alors posé sa main sur mon épaule pour me prouvé qu’il disait la vérité car, entre nous aussi, on se faisait des blagues! Je me suis écrié : “Putain, mais c’est trop bien ! Je suis trop content pour toi Flo ! C’est excellent.” C’est aussi pour des personnes comme lui que je raconte des histoires. Des histoires dans lesquelles tout est possible alors que tout semble impossible. Des histoires qui montrent à quel point tout peut arriver dans la Vie.
Aujourd’hui, je sais pourquoi j’ai survécu. Et ce texte, c’est ma première compote à moi. Celle que je tends à ceux qui, comme Gérard, Charlotte ou Florian, n’ont pas eu la leur.
Dans mon univers, à la fin, le gentil triomphe. Il gagne. Il remporte la victoire. Mes histoires se terminent bien — mais ce ne sont pas des happy ends de façade. Ce ne sont pas des artifices pour annoncer une suite, ni des stratégies pour générer du chiffre. Ce sont des victoires vraies. Des victoires humaines. Des victoires arrachées à la douleur.
Je raconte la vérité. Je raconte ma vérité. Je raconte ce que j’ai vécu. Pas de théorie. Pas de discours plaqué. Je parle vrai. Je raconte vrai. Je n’épargne pas. Je ne préserve pas. Quand j’évoque la souffrance, les douleurs endurées, je n’édulcore pas. Et je n’invente rien non plus. Je partage les miracles. Ceux que j’ai vus. Ceux que j’ai vécus.
Alors si tu traverses, toi aussi, une nuit noire. Si tu t’es pris le mur, le sol, la claque, la trahison. Si tu ne sais plus pourquoi tu es là, ni comment continuer, garde cette compote. Elle est pour toi. Elle n’a rien de miraculeux. Mais elle contient tout ce que j’ai à donner : Un peu de chaleur. Un peu de lumière. Et la preuve vivante que l’on peut s’élever, même quand on a touché le fond. Tu n’es pas seul.
D’ici à ce que, peut-être, nos chemins se croisent… prenez soin de vous. Prenez soin de ceux que vous aimez
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